dimanche 21 novembre 2010

L’initiation sauvage du civilisé - La Crise

Par Denis Marquet
Chez les peuples que l’on disait sauvages existe une dimension que nous avons perdue : l’initiation. Celle-ci est une ritualisation des passages de la vie qui permet à l’individu, accompagné par sa collectivité, de mourir à une forme d’existence périmée pour renaître à une nouvelle. La mort symbolique instaure une rupture avec l’ordre ancien, laquelle passe par une épreuve impliquant souvent des douleurs physiques et morales. Lors de l’initiation adolescente, le garçon peut être enfermé dans une caverne sombre (symbolisant la matrice) où, tout repère aboli, il devra traverser la faim, la soif, l’angoisse de la mort et de l’inconnu. Puis, comme une renaissance, il sera ramené à la surface et accueilli cérémoniellement par la communauté des hommes. Au plus intime des cellules est ainsi reçue l’information qu’un temps est révolu et qu’un autre commence.

Nous, « civilisés », avons perdu les initiations. Aussi adultes que nous soyons en apparence, nous vivons donc nécessairement dans un immense chaos psychique : les âges sont mélangés en nous et, les nostalgies primitives n’ayant jamais pu être lâchées, nos vrais désirs sont inextricablement mêlés de pulsions régressives, donc agressives. Pour rester dans l’exemple du jeune homme (mais les initiations féminines manquent tout autant...), notre époque ne lui propose rien qui lui permette de faire le deuil de la fusion avec la mère, afin de naître à un désir d’homme dirigé vers une femme et non un substitut maternel (le complexe d’Œdipe est une spécificité moderne !). Cet apprentissage devra donc se faire (ou non) au fil des expériences amoureuses, et particulièrement au sein du couple, dans le conflit et la crise.

Car à la place de l’initiation, nous avons précisément la Crise - cette initiation sauvage du prétendu civilisé. Sauvage, parce qu’elle se pratique sans accompagnement social et dans la solitude. Elle est donc bien plus douloureuse et incertaine. Et aussi parce qu’aucune explicitation n’est donnée de son sens, de sa nécessité et de ses lois. C’est pourquoi nous manquons souvent la portée initiatique des crises qui se présentent. Ainsi, la terrible dépression est trop souvent l’objet d’une simple anesthésie médicalisée alors que, d’un point de vue initiatique, elle est précisément le moment crucial qui assure la transition entre la mort à l’ancien et la naissance au nouveau. La réintroduction d’une compréhension initiatique, dans nos vies et dans la conscience collective, est donc la grande tâche de notre temps. Cela passe par une nouvelle écoute de certains mots-clés : entendre la crise en son sens étymologique de moment où se décide le chemin ; et l’épreuve comme le temps où l’on s’éprouve soi-même de manière neuve.

Ne soyons pas nostalgiques : dans les sociétés traditionnelles, l’initiation n’avait pour objectif que de permettre à l’individu de tenir son rôle social dans un contexte de grande coercition. Si la crise est une initiation sauvage, c’est qu’elle répond à une autre ambition humaine : accoucher d’un être unique, irremplaçable, qu’aucun discours social ne peut déterminer - soi-même. Dans la crise et l’épreuve, pouvons-nous entendre l’appel de notre vérité profonde à toujours plus d’incarnation ?


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire